Paroisse Catholique Saint Vincent des Buis (71390 Buxy)
Saône et Loire - Bourgogne
Diocèse d'Autun

Sous le regard de Dieu

Initiation à la Vie Intérieure

Dom Godefroid Bélorgey
- Edition du cerf, 1955 -

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Chapitre I. Importance de la vie intérieure
Chapitre II. Notion et Définition
Chapitre III. Pour devenir une âme intérieure
Chapitre IV. L'atmosphère favorable
Chapitre V. La règle d'or : persévérance "enthousiaste"

Sous le regard de Dieu

« Ce qu’il y a de primordial pour l’apostolat du prêtre et du laïque, c’est la vie intérieure, la vie d’union à Dieu, et la vie d’oraison, dont parle Saint-Paul lorsqu’il s’écrie : « vous avez une vie toute cachée en Dieu avec le Christ. (…)

(Le Pape Pie XII) affirma avec force l’inutilité des œuvres extérieures quand elles ne sont pas fécondées par l’union au Christ. Sans la grâce divine, rien ne tient, rien ne compte, rien n’a de valeur surnaturelle. Sans la vie intérieure, on tombe dans l’hérésie de l’action.

Introduction

Dieu a tout créé pour sa Gloire. Combien d’hommes savent sur la terre qu’il n’existe que pour Dieu ? Beaucoup l’ignorent ; d’autres l’ont su, mais ne s’en souviennent plus ou n’y songent que rarement. (…) Rares sont ceux dont toute la vie n’a que ce seul but : glorifier Dieu. Pourtant c’est une vérité certaine que Dieu, étant le principe et la fin de tout, ne pouvait créer que pour Lui, pour Gloire. On n’en peut douter ; et cela est tellement important que, si l’homme ne réalise pas cette fin unique pour laquelle il est créé, il n’a pas de raison d’être. (…)

L’homme ne glorifie Dieu et ne trouve le bonheur que dans la mesure où il est saint. Seuls les saints glorifient Dieu par toute leur vie, et seuls ils ont dès cette terre le vrai bonheur. (…)

D’après le plan divin, tout homme doit donc tendre vers la sainteté. (…) Qu’est-ce donc que la sainteté ? Essentiellement, c’est « l’union de l’âme avec Dieu dans la Charité parfaite » (…) Cette définition théologique reste encore trop théorique et bien abstraite. Cherchons donc pratiquement, dans le concret, en quoi consiste la sainteté. Comment vivent les saints dans leur vie quotidienne ordinaire ? Que font-ils ? Rien d’extraordinaire extérieurement, rien de plus que ceux qui les entourent, mais – et voilà le secret de leur sainteté -ils font ou s’efforcent de faire tout extraordinairement bien. Ils accomplissent en tout la volonté de Dieu par amour. Ils remplissent à chaque instant leur devoir d’état, comme beaucoup d’autres, mais aussi parfaitement qu’il leur est possible, dans les moindres détails. (…)

Dans le monde comme dans le cloître, que de personnes font les mêmes actes du matin au soir et ont les mêmes pratiques extérieures de piété (prière, messe, communion….), et cependant quelle différence aux yeux de Dieu ! D’où cela vient-il, sinon de leurs degrés différents de sainteté ? L’une agit d’une façon quelconque, purement extérieure, tandis que cette activité est vivifiée chez l’autre par la vie intérieure qui l’embrase au plus intime d’elle-même. Cette vie intérieure est précisément l’âme de la vie chrétienne. C’est elle qui fait les saints.

Sous le regard de Dieu

CHAPITRE I - IMPORTANCE DE LA VIE INTERIEURE

Cette vie intérieure a-t-elle donc une si grande importance ?

I.– SANS VIE INTERIEURE, PAS DE SAINTETE

C’est elle, en effet, qui nous permet d’éviter la routine (…). C’est elle, répétons-le, qui mène à la sainteté. N’avez-vous pas remarqué que, si vous ne pensez pas vraiment et souvent à Dieu, vous agissez bien vite d’une façon quelconque ? Si vous ne faites pas plus de progrès dans la vertu, n’est-ce pas parce que vous ne mettez pas tout votre amour dans toutes vos actions ? Nous ne devons jamais oublier que ce ne sont pas nos actions qui glorifient Dieu et nous sanctifient, mais l’esprit avec lequel nous les faisons. L’homme vaut, non par ce qu’il dit ou parce qu’il fait, mais par ce qu’il est. Dieu ne compte pas nos actions, Il les pèse. (…) « Ce que nous attendons de vous, disait un prédicateur de retraite des Cisterciens, ce ne sont ni vos prières, ni vos sacrifices, mais votre sainteté. »

II.- DIEU A LA RECHERCHE D’AMES INTERIEURES

Quelle importance Dieu attache-t-il donc à une âme intérieure ? (…) N’avez-vous pas remarqué que Dieu « cherche» de telles âmes ? (…) Ainsi Dieu cherche des adorateurs en esprit et en vérité, c’est-à-dire des âmes contemplatives ou plus simplement des âmes intérieures. (…) Dieu se penche sur « ces petites âmes pleinement livrées à son action ». Il travaille ce « marbre vivant…. (…) Dieu est donc à la recherche d’âmes intérieures, d’abord parce qu’elles sont rares, et surtout parce qu’il les aime.

III. - LE DIABLE LES HAIT

S’il (le démon) s’aperçoit qu’une petite âme va s’adonner à l’oraison, s’il la voit se laisser chercher et travailler par Dieu…. Oh ! Alors, il ne connaît plus de repos, il a recours à tous les moyens pour arrêter, entraver ce travail de Dieu, ou du moins le diminuer, le gâcher un peu dans le détail. » Il fait tout pour décourager cette âme et la détourner de la vie intérieure. Sa rage nous prouve combien une telle âme a de valeur pour la rédemption du monde jusqu’à quel point il la considère comme son implacable adversaire. Il emploiera contre elle ses artifices les plus secrets et les plus rusés. Dans le monde, les âmes intérieures rencontrent, en effet, toutes sortes de difficultés qui leur viennent en premier lieu des exigences de leur devoir d’état, de leur situation, etc… (…) le démon s’efforce d’empêcher les hommes de se laisser faire par Dieu. Par la même, il prouve la valeur de celles que Dieu appelle à être ses chefs d’œuvre.

IV.- L’EGLISE NE PEUT S’EN PASSER

Nous devons être persuadés qu’une seule âme intérieure, une seule âme, qui tend à la perfection rend plus de gloire à Dieu que des milliers de religieux ou de chrétiens quelconques. Quelle influence surnaturelle une telle âme exerce sur le monde ! (…)

V.- EXPERIENCE DE LA VIE INTERIEURE

Rencontre d’une âme intérieure.

Nous pouvons d’abord avoir le bonheur de rencontrer une âme intérieure et de vivre auprès d’elle. (…)

Prenons l’exemple d’une communauté fervente où, (…) rayonne une âme très unie à Dieu. Il se peut que certains, la regardant comme suspecte, la tienne pour ainsi dire à l’écart. Mais, si vous sommes admis dans son intimité, nous expérimenterons rapidement le bienfait de son influence. Au fur et à mesure du développement de sa vie intérieure, notre estime et notre admiration grandissent. Nous sommes conquis par la flamme qui embrase cette âme. Véritable apôtre, elle exerce par sa seule présence un apostolat bien supérieur à tout apostolat actif, car elle encourage d’autres âmes à rechercher la vie intérieure. On sent qu’elle est en possession de la vérité. Elle rayonne la paix et la joie, car elle possède Dieu. Elle captive plus que tout ce qu’on peut lire dans les livres. Cette âme de Dieu, qui vit toujours avec Lui, est l’idéal vivant vers lequel chacun doit tendre à sa manière et suivant sa voie. (…) Vous trouverez dans le monde des exemples analogues d’âmes intérieures transformant peu à peu leur milieu. N’oublions pas que, si Dieu nous met en contact avec de telles âmes, c’est de sa part une délicatesse par laquelle il nous appelle aussi à devenir des âmes intérieures : Il veut faire de chacun d’entre nous un maillon de la chaîne qui, loin d’arrêter le courant, va l’intensifier. 

Rencontre d’une âme convertie à la vie intérieure.

Dieu peut mettre aussi sur notre chemin des âmes qui ont fait la découverte de la vie intérieure après l’avoir ignorée pendant tout un temps. (…) Mais, un jour, par une grâce spéciale dont il saura fêter l’anniversaire, il a découvert cette perle précieuse qu’est la vie intérieure. C’est ce que l’on appelle la seconde conversion. (…) Celui-là nous dira alors – et avec quelle conviction : « ma vie a changé complètement je sens bien la différence. Autrefois je vivais pour Dieu, maintenant je vis aussi avec Lui. » En mesure de comparer son existence avant et après cette grâce, il apprécie l’immense bienfait de la vie nouvelle qu’il mène. Il goûte vraiment la paix et la joie.

Avant-goût gratuit.

Dieu, en effet, qui connaît notre faiblesse, nous permet parfois de Le découvrir un peu, alors même que nous n’avons pas une vie intérieure intense. Cette grâce, absolument gratuite, donne un avant-goût qui nous fait expérimenter toute la différence entre une vie quelconque et la vie d’intimité avec Dieu. C'est comme l'appel personnel, particulier qui se surajoute à l'appel général. Dieu semble nous dire : « Voilà ce qui t’attend. Travaille à te purifier pour que Je puisse Me donner à toi !» (…)

Forts de cette conviction personnelle qui dépasse tout, nous serons plus tenaces pour retrouver ce que nous avons un instant goûté. (…) C’est le moment alors de persévérer à travers tout pour répondre à une marque aussi tangible de l’amour de Dieu.

Diminution de notre vie intérieure.

Si nous avons déjà découvert la « perle précieuse», nous pouvons encore expérimenter d’une façon actuelle l’importance de la vie intérieure. Il peut se faire que pendant une certaine période nous cession de la développer, qu’il y ait faute ou non de notre part (négligence, surcharge extérieur par suite du devoir d’État, impuissance physique due à la maladie, etc.).

Nous sentons alors diminuer notre application aux choses surnaturelles. Nous gardons bien une pensée vague du Bon Dieu. Mais ce n’est plus cela, il manque quelque chose. Nous expérimentons ainsi la nécessité où nous sommes d’entretenir toujours d’une façon actuelle notre vie intérieure. Nous expérimentons combien tout, sans elle, est vide. (…) Le Bon Dieu permet cette épreuve pour nous faire mieux apprécier la valeur de la vie intérieure. (…) Nous devons donc être pleinement décidés, non plus seulement d’une conviction intellectuelle, mais d’une conviction vécue personnellement, à faire tout ce qui dépend de nous pour la développer sans cesse. Mais il ne faut pas nous lancer en aveugle. Nous allons donc essayer de bien préciser le but à atteindre.

Sous le regard de Dieu

CHAPITRE II - NOTION ET DEFINITION

I – LE PRINCIPE DE LA VIE INTERIEURE

Quel est donc le principe de notre vie intérieure ? C'est la vie divine que le Saint Esprit nous communique par la grâce sanctifiante.

Chaque chrétien reçoit au baptême ce principe de vie. Il devient ainsi enfant adoptif de Dieu et frère du Christ. Ce principe se développe en lui chaque fois qu'il reçoit les sacrements, même s’il ne les reçoit qu’avec le minimum des dispositions convenables. Un chrétien est-il donc une âme intérieure par le seul fait qu’il est en état de grâce ? Comment se fait-il alors, (…) qu’après des années de pratique des sacrements une âme puisse mener encore une vie toute naturelle ? La vie divine est pourtant en elle à l’état de principe, et cette âme a bien soin d’éviter tout péché mortel ! Non une âme en état de grâce n’est pas, par le fait même, une âme intérieure. Cette attitude encore négative ne suffit pas à Dieu. Cette âme ressemble au serviteur dont parle l’Évangile qui, n’ayant reçu qu’un talent, l’enfouit soigneusement pour le rendre intact à son maître.

Il ne suffit donc pas que la grâce soit en nous un simple principe de vie. Il n’y aura de vie et la vie ne pourra se développer pleinement que dans la mesure où le principe se manifestera par des actes. Nous ne participons à la nature divine que pour pouvoir prendre part à la vie divine. (…) Conserver l’état de grâce est une première condition indispensable, mais cela ne peut Lui suffire. S’en tenir là serait un grand danger (…).

II. - SON DEVELOPPEMENT PAR LA COOPERATION DE L’AME A L’ACTION DE DIEU

Il faut que la grâce sanctifiante se développe et transforme tout notre être et toutes nos facultés pour nous faire vivre de plus en plus cette vie divine à laquelle Dieu nous appelle, pour nous faire agir vraiment en enfant de Dieu. Ce développement nous ne pouvons l’effectuer seul. Il faut que Dieu intervienne. À chaque instant Notre-Seigneur Jésus-Christ nous donne par son Esprit-Saint les grâces actuelles méritées pour nous pendant sa vie mortelle. Nous restons libres pourtant – c’est de foi – de repousser ou d’accueillir cet influx divin. (…)

Cette coopération doit se faire d’abord sur le plan intérieur avant de se traduire à l’extérieur. (…) Il ne suffit donc pas de vivre pour Dieu, il faut encore vivre avec Dieu.

III. – LES DIFFERENTES PHASES DE LA VIE INTERIEURE

Le modèle parfait de la vie intérieure, c’est la vie intime de Dieu au sein de la Trinité. Jésus, le fils unique par nature, participe en plénitude à cette vie divine. Nous avons tous reçu de cette plénitude. Elle est la source de la grâce sanctifiante qui nous rend capables de connaître et d’aimer Dieu surnaturellement, de Le connaître comme Il se connaît et de L’aimer comme Il s’aime. Tendre ardemment vers cet idéal, tel sera notre premier pas dans la vie intérieure. Nous serons alors sollicités à entrer plus avant dans l’intimité de Dieu et nous essaierons de nous entretenir cœur à cœur avec Lui. Enfin, assoiffés de vie divine, nous chercherons à nous identifier de plus en plus à Jésus pour le laisser vivre en nous, pour que ce soit Lui qui connaisse et aime son père en nous.

 

Premier degré : tendre vers Dieu.

D’après ce que nous venons de voir, pour devenir une âme intérieure, nous devons développer le principe de vie que le Christ nous communiquent par l’Esprit-Saint. ` En quoi cela consiste-t-il ? Saint-Paul le dit aux Colossiens: « si vous êtes ressuscité avec le Christ » – C’est-à-dire si vous avez en vous la vie divine, la vie du Christ –, mais vivez en donc ! Ne vous endormez pas ! Ne vivez pas d’une façon humaine, quelconque ; vivez divinement, surnaturellement ! Et pour cela : « Cherchez les choses d’en haut, goûtez les choses d’en haut et non les choses de la terre. »

Cette recherche de Dieu va donc occuper nos facultés des choses surnaturelles. Elle les détache d’abord de la créature vers laquelle elles étaient surtout dirigées. Elle les purifie, les libère et les oriente vers Dieu. Les livres spirituels nous attirent et nous nous imprégnons par la méditation des beautés que nous y trouvons. C’est le début de la vie intérieure.

Deuxième degré : Nous entretenir cœur à cœur avec Dieu.

Si l’âme persévère et se rend à l’invitation de Saint-Paul, connaissant, Dieu chaque jour davantage par la lecture et la méditation, elle éprouve un nouveau désir. S’occuper des choses d’en haut ne lui suffit plus. Elle désire s'entretenir cœur à cœur avec Dieu, comme un enfant avec son Père. Sa méditation se simplifie et devient peu à peu oraison affective, puis oraisons de simplicité – dans ses premiers degrés. Elle vit déjà au Ciel par l’affection, dégagé de tout ce qui est terrestre. (…)

L’âme devient de plus en plus surnaturelle.

Troisième degré : Nous identifier à Jésus.

L’âme à plus que le simple titre d’enfant de Dieu, elle mène vraiment la vie d’un enfant adoptif admis dans l’intimité de la vie divine. Aussi est-elle amenée, comme logiquement, à avoir en tout le même sentiment que Jésus, le Fils unique. Elle sort de l'oraison, qui se simplifie de plus en plus, désireuse de se laisser former par l'Esprit-Saint, pour qu'Il reproduise en elle les sentiments intérieurs que Lui-même a formés dans l’âme de Jésus. L’entretien cœur à cœur se réduit bientôt à un simple regard. La dévotion devient plus profonde, plus intime. Cherchant uniquement à se laisser identifier au Christ par l’Esprit Saint, l’âme, de plus en plus morte au monde et à elle-même, mène une vie silencieuse toute cachée en Dieu avec le Christ (…).

Elle pourra bientôt dire, si elle persévère, cette autre parole de Saint Paul : « Je vis ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ et qui vit en moi ». (…) Et, l’âme poursuivant toujours cette vie de contemplation et d’amour, le dernier stade de la vie intérieure, le plus vaste et le plus riche, lui sera ouvert. Le Christ sera vraiment devenu toute sa vie. (…)

IV – DEFINITION DE LA VIE INTERIEURE

La vie intérieure, c’est la vie du Christ que Celui-ci nous communique dans la mesure où, détachée de la créature, silencieuse, attentive et souple, notre âme se livre à la motion de l’Esprit-Saint pour se laisser agir par Lui jusqu’à devenir vraiment enfant de Dieu (…)

Jésus, en effet, ne se contente pas de nous communiquer un principe de vie, il ne Lui suffit pas d’être de notre parfait modèle pour toutes les actions extérieures. Il veut vraiment être la vie de notre âme ; Il veut surtout nous communiquer sa vie intérieure pour que nous formions avec Lui non seulement un seul corps, mais un seul esprit et un seul cœur.

V. – LA VIE INTERIEURE DE JESUS

Complétons notre définition de la vie intérieure en rappelant brièvement quelques traits de la vie intime de celui dont l’âme est par excellence l’« âme intérieure » : Notre-Seigneur Jésus-Christ. Certes, il a toujours vécu par son Père (…) et aussi pour Lui, mais, de plus, Jésus a vécu à chaque instant avec son Père (…), « Je ne suis pas seul, mon Père… est avec moi. » Aussi voyons-nous Notre-Seigneur « toujours recueilli en la divinité qui habitait substantiellement en Lui ». C’est le Père qui dirige tous ses mouvements (…), inspire toutes ses paroles (…) préside à toutes ses démarches (…). Cette union de volonté entre Jésus et son Père est telle qu’Il peut dire (…) « je fais toujours ce qui lui plaît ». Les moindres actes, les moindres désirs, les moindres pensées de Jésus se font sous l’influence de la vie divine qui est en lui. C’est cette vie que Jésus veut nous communiquer pour nous faire devenir à son exemple des âmes « Marchant toujours recueillies en la présence de Dieu ».

Sous le regard de Dieu

CHAPITRE III - POUR DEVENIR UNE AME INTERIEURE

Article 1er - DEUX GRANDS MOYENS

De quels moyens disposons-nous pour tendre vers l'idéal si captivant que nous venons de préciser ? Nous ne parlons pas ici des moyens officiels présentés par l'Eglise, tels que les Sacrements, la Sainte Messe, etc.… Nous supposons une fois pour toute que nous en usons d’une façon fréquente et régulière. Ils doivent toujours garder la première place. Nous cherchons en ce moment les moyens qui nous permettront de profiter au maximum de ses « canaux authentiques de la grâce ». Les auteurs spirituels en présentent un grand nombre. Tous sont d’accord sur la nécessité de l’oraison pour une âme qui tend à la perfection. Ils s’ingénient en outre à la compléter par des pratiques divers ce qui, croyons-nous, peuvent se ramener à l’exercice de la présence de Dieu, moyen à la fois simple et pratique, qui doit nous mener sûrement et rapidement à la vraie vie intérieure.

I – LA PENSEE DE SAINT FRANCOIS DE SALES ET DE SAINT BENOIT

Saint-François-de-Sales, ce grand et aimable saint, cette âme si intérieure, nous donne deux grands moyens qui lui ont parfaitement réussi. (…)

« Le premier moyen qu’il employa, ce fut la fidélité à l’oraison. » En les détachant du créé, il orientait ainsi ses pensées, ses affections, ses volontés vers les choses surnaturelles. (…)

« L’exercice de la présence de Dieu », qu’il appelait l’oraison active, « était le second moyen qu’il employait ». Le saint le pratiquait lui-même à tel point qu’à Ste Chantal lui demandant un jour s’il était longtemps sans penser à Dieu il répondit : « Quelquefois presque un quart d’heure.» Par-là, il gardait pendant tout le jour « une union continuelle à Dieu ». (…)

La pensée de Saint-François-de-Sales et donc bien nette : pour permettre à une âme pieuse d’arriver à la vie intérieure, deux moyens : l’oraison, prolongée tout au long du jour par l’exercice de la présence de Dieu. Et si, pour une raison quelconque, on est obligé, une fois ou l’autre, de se borner à un seul de ces deux moyens, c’est le dernier qui doit prévaloir (du moins pour une âme qui a déjà une certaine expérience de l’oraison).

Arrivée à cet état habituel de l’union à Dieu, l’âme a, par le fait même, la vie intérieure, cette application de l’esprit et de la volonté à l’action de Dieu au dedans d’elle-même. Elle reste ainsi toujours disposée à coopérer à l’action divine.

Notre père Saint-Benoît ne donne pas d’autres moyens dans sa règle pour la formation individuelle du moine. Tout se résument pratiquement pour lui dans ces deux instruments des bonnes œuvres : le 57e : Orationi frequenter incumbere ,« se livrer fréquemment à l’oraison» ; et le 49e : In omni loco Deum, « en tout lieux tenir pour certain que Dieu nous voit ».

II.– PREMIER MOYEN : L’ORAISON

D’abord le frequenter incumbere de Saint-Benoît : se livrer fréquemment à l’oraison.

Saint-François-de-Sales, qui s’adresse à des gens pris par leurs affaires pendant la journée, parle d’une heure d’oraison le matin, complétée – pour lui– par une heure le soir. Saint-Benoît au contraire, suivant en cela toutes les traditions des anciens moines, préfère les oraisons fréquentes, mais courtes : ideo brevis debet esseet pura oratio, afin qu’elles soient pures.

Insistons aussi sur un point capital : la nécessité de la préparation éloignée ou habituelle pour toute âme qui veut s’adonner à l’oraison. (…) Impossible, en effet, de prier sans une préparation éloignée habituelle. Nous avons dit que l’oraison est une élévation de l’âme vers Dieu. Pour que l’âme puisse s’élever vers Dieu, il faut nécessairement que ses facultés soient libérées, disciplinées et livrées à Dieu. Cela suppose un travail de tous les instants. La libération des facultés de l’âme se fait par le détachement effectif et affectif du péché, par la mortification extérieure et intérieure. C’est la purification du cœur. Une âme pure est une âme libre. Ses facultés une fois libérées, il faut que l’âme en soit maîtresse. Elle doit donc les discipliner et cela par le moyen de l’obéissance à la volonté et au jugement d’autrui. (…)

Enfin, rien ne nous prépare mieux à nous livrer totalement à Dieu dans l’oraison que le dévouement à nos frères par la pratique de la charité fraternelle. L’âme ayant appris à s’oublier à se donner au prochain est ensuite capable de se donner à Dieu dans la foi et l’amour.

Tous ces renoncements sont nécessaires à la pratique de l’oraison. Pour qui veut bien la faire et rester fidèle, c’est vraiment « l’exercice de plus haute vaillance ». En retour, à la fin de chacune de nos oraisons, notre âme sera pleinement orientée vers Dieu, complètement livrée à lui. 

III – DEUXIEME MOYEN : L’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU

Être ainsi orienté vers Dieu, c'est la disposition de fond de l'âme qui tend à la sainteté. La vie intérieure consistera pour elle à se maintenir dans cette disposition d'une façon aussi continuelle que possible, tout le long du jour. Nous savons par expérience combien c’est difficile, combien notre volonté change. Trop vite, au lieu de penser à Dieu et de vivre pour lui, nous L’oublions nous vivons pour nous. L’exercice de la présence de Dieu a pour but de nous aider à éviter cet oubli par des retours à Dieu. Ils consistent pratiquement à rétablir en notre âme les dispositions qu’elle avait en sortant de l’oraison, où à les maintenir, ou à les intensifier, suivant l’état où nous sommes.

Ce sont donc des actes qui nous permettent de garder nos facultés toujours plus orientées vers Dieu, toujours plus livrées à lui. Ils sont comme la conséquence logique et le prolongement naturel de l’oraison qui devient grâce à eux, non plus un acte passager sans influence, mais un état de prière. Ils en sont aussi la meilleure préparation. Une sainte âme, le P. Chaminade, le fondateur des Marianistes, a pu dire : « On pose en principe que celui qui ne fait pas une heureuse habitude de l’exercice de la présence de Dieu ne fera jamais oraison…. Il faut donc s’exercer souvent, en dehors de l’oraison, à la présence de Dieu, afin d’en acquérir l’habitude. »

Le retour à Dieu, ses éléments, ses formes successives.

Il s'agit au fond de faire le point de temps en temps, non plus seulement le matin, à midi et le soir, par des examens particuliers, mais plus souvent au cours de nos actions, à part un petit examen comprenant les éléments essentiels de l'oraison : silence et présence de Dieu, en même temps que ceux de l'examen de conscience bien compris.

Ce retour à Dieu comprend essentiellement trois temps :

Premier temps : Me remettant en présence de Dieu, je me demande : qu’est-ce que Dieu veut de moi ? Sa volonté m’apparaît aussitôt.

Deuxième temps : Est-ce que j’y réponds ? Est-ce que je coopère à l’action de Dieu ?

Troisième temps : Si je ne faisais pas parfaitement la volonté de Dieu, je rentre en Dieu, je redresse et je rectifie mon intention en le rendant conforme à la sienne. Si je faisais sa volonté, je maintiens mon intention. Et je l’intensifie en me livrant davantage à l’action de Dieu, si j’agissais d’une façon quelconque, un peu négligemment, sans grand élan.

Tels sont les éléments du retour à Dieu, abrégée de l’oraison et de l’examen de conscience. C’est un acte à la fois d’intelligence et de volonté qui doit faire rejoindre Dieu, faire reprendre contact avec Lui, non pas par un vague souvenir, mais par une pensée vraie qui, prenant tout mon être, entraîne mon affection et ma volonté, conforme ma volonté à la sienne et me fait coopérer à son action tout intime au fond de mon âme. A première vue ces trois temps peuvent effrayer. Il est vrai que cet exercice demande au début un certain effort, il faut savoir se l’imposer pour pénible qu’il puisse paraître.

Bien vite il se simplifie et le retour devient un simple coup d’œil. Voyez la différence entre un chauffeur qui apprend à conduire et un chauffeur expérimenté. Le premier est obligé de prêter attention à quantité de détails, le second tient la route sans aucune difficulté. Un simple coup d'œil et tout le reste suit. Ainsi pour le retour à Dieu. Les trois temps se réduisent bientôt, par l’habitude d’action de grâces, à un simple coup d’œil : c’est le coup d’œil-examen, le coup d’aile qui rejette en Dieu. Si l’on peut au début compter les retours à Dieu, ils se multiplient peu à peu en se simplifiant et en s’imprégnant d’amour. Bientôt il n’y a plus qu’un simple regard habituel, souvenir amoureux de Dieu qui nous suit tout le long du jour et qu’on sent le besoin d’intensifier de temps en temps.

Notons que le retour à Dieu, comme tout acte surnaturel est à la fois l'œuvre de Dieu et l'œuvre de l'homme.

Au début surtout, et à certaines époques de sécheresse ou de difficultés spéciales, le gros effort de volonté que nous impose la pratique des retours pourrait nous porter à croire que Dieu nous laisse agir tout seul. Détrompons nous. Il agit toujours avec nous suaviter et fortiter, « Doucement et fortement ». Mais ces voix sont mystérieuses. Parfois son aide reste cachée, imperceptible et pourtant très intense. Il nous attire, nous assoiffe de plus en plus, tout en nous laissant, angoissant, le sentiment de notre impuissance… A d’autres moments, son action devient tangible, évidente. Elle peut se faire merveilleusement douce et délicate, comme en récompense de notre fidélité au temps de la sécheresse. L’âme se forme, mais surtout Dieu la forme. Il a plus soif de nous que nous de Lui. Il nous cherche encore plus que nous ne le cherchons. Il faudrait être Dieu lui-même pour comprendre – dans toute la force de ce mot – l’immense plaisir, la joie infinie qu’Il y a à se donner en répandant sa grâce à chaque instant, si nous y sommes attentifs. Rien d’autre à faire pour une âme intérieure que de regarder Dieu et de vivre sous son regard. Cela suffit, le reste suivra. De la rencontre des regards jaillira l’union des volontés.

Le retour à Dieu pour Saint-François-de-Sales

C’est bien ce qu’entendait Saint-François-de-Sales quand il parlait de recueillement intérieur et d’aspirations et oraison jaculatoire, « fréquent regard de Dieu et de nous ou de Dieu en nous et de nous en Dieu », « courtes élévations d’esprit vers Dieu, comme des élans de notre âme », « Rappeler le plus souvent que vous pourrez, parmi la journée, votre esprit en la présence de Dieu…. Regardez ce que Dieu fait et ce que vous faites ; vous verrez ses yeux tournés de votre côté et perpétuellement fichés sur vous par un amour incomparable. Où sommes-nous, ô mon âme ? Notre vraie place, c’est Dieu, et où est-ce que nous nous trouvons ?»

Le retour à Dieu pour Saint-Benoît

C’est aussi la pensée de Saint-Benoît. Il présente, en effet, dans sa Règle, l’exercice de la présence de Dieu comme le premier et le grand moyen de la formation acétique du moine. (…) C’est par ce que « je tiens pour certain que Dieu me voit en tous lieux » (49e) que « je veille à toute heure sur les actions de ma vie » (48e).

Avant tout, Dieu est présenté « comme un Etre très personnel, comme un quelqu’un bien vivant », comme un Père qui fait attention à chacun de ses enfants. Il s’occupe toujours de nous, prêt à nous juger, nous et nos actions. Il nous regarde pour voir si nous faisons attention à Lui. Si nous prêtons l’oreille, Il nous manifeste sa volonté. Il agit sur nous et Il nous appelle (grâce actuelle) chaque jour, à toute heure, à tout instant (…)

C’est d’abord l’appel à la crainte : « Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur » ; C’est ensuite l’appel à l’intimité, à la vie heureuse (…) ; Enfin, c’est l’appel à la perfection avec tout un programme de vie parfaite.

A nous donc de répondre au regard de Dieu, à ses appels et à son attente. De pécheur que nous étions, vivant dans l’oubli de Dieu, nous sommes conviés à devenir enfants de Dieu, à vivre dans la pensée habituelle de son amour.

Chaque temps du retour constitue la réponse de l’homme aux différentes attitudes de Dieu à son égard. – Dieu nous regarde : nous Le regardons. – Dieu nous faire entendre ce qu’Il veut de nous : nous examinons comment pratiquement nous répondons à sa volonté. – Dieu attend notre réponse ; nous coopérons en redressant, en maintenant ou en intensifiant notre orientation vers Lui. Et bientôt tout cela découle, pour ainsi dire tout naturellement, d’un simple regard amoureux, à la fois affectif et effectif, que nous fixions sur Dieu.

IV.- VIVRE EN PRESENCE DE DIEU

L’exercice de la Présence de Dieu, pratique des retours à Dieu, s’offre donc à nous comme le moyen le plus simple et le plus efficace – du moins d’après Saint-Benoît et Saint François de Sales – de préparer et de prolonger nos oraisons au cours de la journée et de vivre ainsi en union avec Dieu. (…)

Ainsi Dieu n’est plus pour nous être lointain. Ces retours à Dieu de plus en plus fréquents nous établissent peu à peu dans un état ou notre âme se trouve fixée en Dieu, pour ainsi dire, par un souvenir simple et amoureux. Nous vivons dès lors sous le regard de Dieu, nous vivons avec lui, toujours en sa présence, et participons vraiment à sa vie par la contemplation, l’amour et le don de nous-même.

L’exemplaire idéal : la vie de la Trinité.

Quel est en effet la vie divine ?

Au sein de la Trinité, de toute éternité, le Père pense son Fils, expression vivante et parfaite du Père. Il Le contemple, Il l’aime et se donne à Lui. En retour, le Fils voit le Père de qui il reçoit tout, Il Le contemple, Il L’aime et Il se donne à lui. De ce mutuel amour, de ce don réciproque procède comme d’un principe unique l’Esprit-Saint, amour substantiel du Père et du Fils. La vie divine n’est qu’un océan d’amour dont le flux et le reflux va du Père au Fils et du Fils au Père par l’Esprit Saint. Ainsi on peut dire que Dieu est le grand contemplatif parce qu’Il est l’Amour. Le Père et le Fils se contentent parce qu’ils s’aiment, et de cette mutuelle contemplation jaillit l’Amour. S’il nous est permis d’appliquer ces mots à Dieu, l’amour est le principe et le terme de leur contemplation.

Retrouver la ressemblance perdue.

Nous savons par ailleurs que Dieu a voulu faire participer les hommes à sa vie propre.

Telle sera notre vie au ciel ; telle sera notre vie dès ici-bas si nous le voulons. (…) Mais le péché a détruit cette belle harmonie. (…) (L’homme) garde cependant l’image de Dieu. Aussi le besoin d’aimer est-il inscrit au plus profond de sa nature. Nous sommes donc tous des contemplatifs, au sens large de ce mot, car tout homme possède avec ce besoin d’aimer le principe même de la contemplation. Nous contemplons toujours quelqu’un, ne fusse que nous-mêmes. Mais, parce qu’à cause du péché notre regard, au lieu de se porter vers Dieu, se tourne vers la créature, il s’agit pour nous, en revenant à Dieu, de retrouver la ressemblance perdue. Il faut nous détacher de la créature pour regarder Dieu, Le contempler, L’aimer et nous donner à Lui, reproduisant ainsi sa vie intime. C’est parce que j’aime Dieu que je Le contemple, et je le contemple pour mieux L’aimer. L’amour devient le principe de la fin de ma contemplation. Ainsi, dans la mesure où nous retrouvons la ressemblance avec Dieu, nous portons vers lui nos regards et nous rencontrons le sien. Nous vivons en sa présence, nous vivons avec Lui.

Ambulare cum deo, marcher avec Dieu.

L’incarnation a rapproché de nous le regard de Dieu, l’a humanisé ; c’est Jésus qui nous regarde et le regard de Jésus ne cesse plus de captiver les âmes pour les conduire à son Père. Enfin, comme si cette condescendance ne suffisait pas, le regard de Dieu s’est pour ainsi dire maternisé dans le regard de Marie. Attirés par le regard de la Sainte Vierge qui ne saurait effrayer personne, par Elle nous serons conduit peu à peu à l’intimité de Jésus. À Dieu, par Marie, avec Jésus, dans l’Esprit-Saint. Tous s’occupent de nous et exercent sans cesse sur nous leur action mystérieuse.

Article II LE MOYEN PRINCIPAL VIVRE SOUS LES REGARDS DIVINS

 1 – REGARD DE DIEU

Quelle idée faut-il se faire pratiquement du regard de Dieu ? Un moyen simple souvent très efficace et d'identifier le regard de Dieu avec sa Pensée. Dieu me pense de toute éternité. Ce n'est pas, suivant l’admirable doctrine de Saint-Augustin, parce que nous existons que Dieu nous voit et qu’Il nous aime, mais c’est parce qu’Il nous pense et qu’Il nous aime que nous existons.

De toute éternité Dieu s’occupe de moi, m’entoure de son amour avec toutes ses perfections, comme si j’étais son unique créature. (…)

Ainsi nous sommes toujours présent à Dieu, en ce sens qu’à tout instant Il pense à nous, Il nous aime et Il se donne à nous. Mais, pour nous, Dieu nous est-il toujours présent ?

Hélas ! Repliés sur nous-mêmes dominés par notre égoïsme, nous L’oublions trop souvent Nous devons tendre à vivre de plus en plus en présence de Dieu, fixant simplement notre regard sur son regard, attentifs à coopérer à son action, prêts à répondre aux grâces qu'Il nous donne sans cesse. Pour nous y aider, nous allons considérer quatre principaux aspects de ce regard de Dieu.

Regard purifiant.

Saint-Benoît pose en principe que le moine « doit avoir constamment la crainte de Dieu devant les yeux ». Autrement dit, je dois me souvenir que le regard de Dieu est toujours fixé sur moi ; je me rappelle ainsi que Dieu existe, qu’Il est mon créateur, mon maître et mon Juge. Ce souvenir engendre la crainte et me « préserve à toute heure des péchés et des vices ». (…)

De même, dans la vie surnaturelle, il faut prendre conscience que Dieu nous voit. (…) Les retours à Dieu doivent nous le permettre. À force de jeter notre regard vers Dieu et de revenir à Lui, nous arriverons peu à peu à constater que tout bien est en Lui. Pourquoi dès lors chercher le bonheur dans la créature ? Gardant la vigilance du cœur par les retours à Dieu, nous nous détacherons affectivement du péché en nous dégageant peu à peu des créatures et en regardant le Créateur.

Il arrivera même une époque de notre vie spirituelle ou Dieu nous apparaîtra tellement le Tout que ne voudront plus le quitter. Au lieu de nous appliquer à éviter toute conversion vers la créature, nous n’aurons plus qu’un désir : éviter de quitter Dieu.

Cette attitude d’âme, ou virginité d’esprit, (…) suppose déjà un état assez élevé d’intimité avec Dieu. L’âme s’efforce alors de maintenir le contact, de rester sous le regard de Dieu, en laissant tomber la moindre impression, le moindre retour sur elle-même. Elle sait qu’il suffit de si peu de chose pour déclencher son cinéma intérieur. Aussi, au moindre incident, elle s’efforce de se dégager, de se dépasser pour remonter en Dieu. Elle fera ainsi de petits retours mille fois le jour, petit coups d’aile, rétablissements (en souplesse), redressements à peine sensibles, semblables à ceux du chauffeur expérimenté. Cette mortification héroïque lui obtiendra un cœur pur dont toutes les énergies seront fixées en Dieu et auquel Celui-ci pourra se communiquer. (Aussi) dans les purifications passives, (…), Dieu impose à l’âme son souvenir continuel. Elle ne peut plus perdre la présence de Dieu. Elle est poursuivie par ce regard de Dieu qui lui donne à la fois un besoin douloureux de Lui et l’impuissance de s’occuper d’autre chose. Et en même temps elle se croit repoussée par Dieu. Dans ces moments-là, elle ne pourrait se laisser aller volontairement à la moindre imperfection ; résister serait se soustraire à l’emprise de Dieu.

Regard Sanctifiant.

Ne vous êtes-vous pas déjà posé cette question : comment se fait-il que je ne deviens pas meilleur, que je ne monte pas en sainteté, alors que, par ailleurs, je crois pouvoir dire que je n’offense pas le Bon Dieu et que je fais sa volonté ? Vous pourriez sans doute répondre comme tel religieux : C’est que j’agis d’une façon quelconque, un peu négligemment, ne mettant pas dans mes actions tout ce que je pourrais y mettre de pureté d’intention, d’amour, de générosité. C’est en un mot par ce que je ne vis pas assez sous le regard de Dieu. Et c’est bien vrai ! Si nous agissions en présence de Dieu, nous voudrions toujours lui faire plaisir. (…)

Nous expérimenterons que, si nous pensons à Dieu, nous vivons pour Lui, mais que, si nous ne pensons pas à Lui, nous vivons pour nous, selon cette parole de Notre-Seigneur à une âme : « Quand tu penses à moi, tu vis pour Moi ; quand tu ne penses pas à Moi, tu vis pour toi. »

Pour cette raison, Saint-Benoît nous demande d’agir toujours – ou d’obéir toujours, c’est identique – comme si Dieu lui-même nous commandait.

Vivant ainsi sous le regard de Dieu, nous aurons la crainte du Seigneur, crainte sanctifiante, non plus d’offenser un « Père irrité », mais de ne pas faire plaisir au pius Pater qui veut prendre en nous ses complaisances. Cette obéissance, pleine de foi et d’amour, est agréable à Dieu, et Il sait bien se faire comprendre.

Regard Pacifiant.

Le regard de Dieu est pacifiant. Notre trouble peut venir d’un manque de soumission intérieure ; l’amour propre se réveille et voudraient se révolter. Le regard de Dieu, le Créateur et le Maître, rappelle à la créature ce qu’elle est, la replace dans la vérité de ses relations avec Lui. Il est normal que nous nous soumettions. Cette soumission nous remet dans l’ordre, dans la tranquillité et par suite dans la Paix.

Le trouble peut aussi venir de causes extérieures. L’âme est habituellement soumise à Dieu, mais elle est inquiète à la suite d’épreuves provenant des événements ou du prochain. Elle se tourne aussitôt vers Dieu, et bien vite le regard de Dieu va apaiser l’âme de son enfant. « Mon Dieu et mon Père ! » « Vous faites tout tourner à bien pour ceux qui vous aiment. » « Mon Dieu, vous savez tout, vous pouvez tout, et vous m’aimez. » « Tout passe, Dieu seul demeure ! » Pourquoi dès lors s’inquiéter ? La toute-puissante Bonté de notre Père nous pacifie. Dieu peut cependant permettre que notre inquiétude persiste malgré nos essais de prière. On cherche alors la paix dans les secours humains. Mais, plus on consulte, plus le problème semble inextricable, plus on est inquiet. On n’avait oublié que Dieu, l’essentiel pourtant, l'unique nécessaire. Tournons-nous vers Lui avec persévérance dans une prière silencieuse et confiante, le calme reviendra, la lumière se fera.

Parfois même Dieu montre combien son intervention est forte et puissante. Il révèle la grandeur de son amour en envahissant l’âme d’une paix si profonde qu’elle pénètre jusqu’au fond de l’être. L’âme ne peut plus désormais s’inquiéter et pourtant humainement les raisons de craindre restent les mêmes. C’est le pius Pater qui presse son enfant sur son sein et lui donne une telle confiance qu’il est prêt à tout braver (il est clair qu’il s’agit là d’un don tout gratuit de Dieu). L’âme peut ainsi être amené à vivre au-dessus de toute inquiétude. Elle connaîtra encore les épreuves, mais elle vit habituellement dans l’intimité de Dieu. Le souvenir habituel, qui résulte de sa contemplation amoureuse, la fait participer à la tranquillité de Dieu et l’élève au-dessus de la créature.

Même dans les épreuves venant de Dieu l’âme souffrira, mais elle garde, au fond d’elle-même, la paix qui dépasse tout. Elle vit « immobile et paisible comme si elle était déjà dans l’Eternité ». Toujours avec Dieu, ne cherchant que sa gloire émettant en Lui toute sa confiance, elle expérimente la force de la paix qu’Il lui donne en retour.

Regard Unifiant

On ne peut concevoir d’union plus intime que l’union des trois Personnes divines au sein de la Trinité. Nous avons vu que notre âme, créé à l’image de Dieu, participe à sa vie. Ainsi, plus nous contemplons Dieu, plus nous le regardons, plus étroite s’établit entre Dieu et nous une union qui nous fait penser et aimer comme Lui. Nous voyons et jugeons les choses comme Dieu les voit et les juge. Nous voyons tout à sa lumière. Nous aimons dès lors ce que Dieu aime, nous réprouvons ce qu’Il réprouve. Nous avons le même vouloir et le même non-vouloir. Nous devenons un seul esprit et un seul cœur avec Lui. Adhérent à Dieu par ce regard amoureux que nous fixons sur Lui, nous Lui livrons notre âme avec ses facultés pour qu’Il les envahisse. Dieu se donne à l’âme et s’unit à elle. C’est ainsi que s’établit l’unité. Dans la mesure où l’âme contemplative maintient habituellement sur Dieu ce regard d’amour, elle est arrivée à l’union. Dieu est son unique bien, et elle vit vraiment « par Lui, avec Lui, en Lui ». Cette union parfaite ne sera pleinement réalisée qu’au Ciel. Mais dès ici-bas devons y tendre. Comme le pense Saint Bernard, c’est déjà être parfait que de tendre vraiment à la perfection. Cherchons sans nous lasser le regard de Dieu. Mettons-Le toujours entre les créatures et nous. Ainsi s’établira chaque jour plus profonde l’union entre l’âme et Dieu. Par la contemplation et l’amour, livrons-nous totalement à Lui.

2.– Regard de Jésus

Jésus m’a regardé.

Jésus a connu toutes les générations présentes, passées et futures et il les a aimées. Il a connu et aimé non seulement tous les hommes d’une façon générale, mais chacun d’eux d’une façon personnelle et particulière. Dès cet instant, Jésus m’a donc connu et aimé comme si j’étais l’unique créature pour laquelle Il s’incarnât ! Ce regard, Jésus a continué à le poser sur moi pendant toute sa vie mortelle. À chaque instant, en effet, Il continuait à me connaître et à m’aimer de telle sorte qu’Il a fait chacune de ses actions en pensant à moi. Jour et nuit, pendant trente trois ans, j’étais dans sa pensée et dans son cœur. À Bethléem, à Nazareth, pendant sa vie publique, quand Il instituait la Sainte Eucharistie, toujours je lui étais personnellement et particulièrement présent ! A chaque instant, Jésus voyait mes péchés, mes fautes et mes indélicatesses. Elles l’ont fait souffrir pendant toute sa vie et tout particulièrement pendant sa Passion. Jésus a voulu souffrir pour moi, Il a voulu, par amour pour moi, réparer chacune de mes fautes : pendant son agonie douloureuse, pendant qu’il portait sa Croix, au moment du crucifiement et durant ses dernières heures au Calvaire, j’étais là, et chacune de mes fautes venaient augmenter sa souffrance. (…)

Certes, son agonie historique est terminée ; mais la cause de son agonie, tous les péchés de tous les hommes, dure toujours. Il a souffert dans le passé de mes péchés d’aujourd’hui. (…)

Souvenons-nous donc, en revanche, que nous avons pu consoler Notre Seigneur pendant toute sa vie et spécialement pendant sa Passion. Jésus voyait alors nos bonnes actions. Aussi nos souffrances unies aux siennes L’ont vraiment consolé au milieu de ses douleurs. Nous devons à notre tour avoir toujours le regard fixé sur Jésus et c’est ainsi que nous aimerons la souffrance pour compatir, compenser et compléter avec Lui.

 Jésus me regarde du haut du Ciel

Là où Il se trouve Jésus continue à me regarder. Or, il est d’abord au ciel. Peu d’auteurs parlent de ce regard de Jésus du haut du Ciel et peu d’âmes semblent y penser. Il est cependant exact de dire, non seulement que ce regard existe, mais que, dans sa Gloire, le regard de Jésus a encore plus de puissance que sur la terre.

Ce regard reflète les sentiments actuels de Jésus pour nous, car Jésus voit tout, Il juge tout. À nous de Le trouver, de vivre sous son regard.

 Jésus me regarde du Tabernacle.

Jésus est aussi réellement présent, tout proche de moi, à l’Eglise, au Tabernacle. Il est là avec son corps, son âme et sa divinité. (…)

De même, Jésus est là, au Tabernacle, fixant son regard sur nous. A nous de le chercher, de le rencontrer et de rester sous son influence. Nous pouvons le faire en allant prier tout près de lui. Mais ce regard de Jésus ne connaît pas d’obstacle et nous suit partout (…).

Jésus, présent pour nous dans la Sainte Hostie, y garde toute la puissance qu’Il avait pendant sa vie mortelle. Nous pouvons Le toucher, comme Le touchaient ceux qui l’approchaient, nous pouvons entrer « en contact » avec Lui par la Foi et l’Amour. Notre regard amoureux rencontre son regard, et aussitôt, comme jadis, « une vertu sort de Lui », Il nous accorde une grâce qui nous guérit et nous conforte.

Nous expérimenterons la profondeur de son amour. Pour nous y aider, nous allons rechercher dans l'Évangile quelques-uns des regards de Notre-Seigneur sur ses contemporains. Au Tabernacle, jésus conserve les mêmes sentiments.

Jésus me regarde comme Il regardait ses contemporains

Si nous étions persuadés que Jésus s’adresse encore ainsi à chacun de nous, nous irions Le voir plus souvent. (…) Jésus nous attend et nous lui procurons une grande joie quand nous allons Le voir pour nous entretenir avec Lui, dans l’intimité. Il souffre, au contraire, si, par indifférence nous Le laissons seul.

Ainsi autrefois son regard reflétait la joie quand Il rencontrait certaines âmes. (…)

Jésus dut éprouver de douces joies avec ses Apôtres, les choisis, les préférés, dans les jours de paix et d’intimité, quand Ils L’écoutaient avec simplicité, sans le harceler de questions. Son regard devait se poser successivement sur chacun d’eux, et chacun pouvait y lire ce que Jésus pensait de lui, y lire surtout son amour de prédilection. Le regard de Jésus reflétait aussi la joie, quand il se trouve au milieu de ses amis dans l’intimité de Béthanie. (…)

Avec quelle satisfaction accueille-t-il ceux qui viennent à lui avec une pleine confiance ! (…) Mais, lorsqu’une âme ne répond pas à ses avances, quelle tristesse alors dans le cœur et le regard de Jésus !

Ce même cœur est présent au Tabernacle, le plus souvent délaissé, abandonné, oublié. A nous de communier à ce regard de Jésus ; il cherche un cœur qui Le comprenne ! Devant tant d’indifférence, même dans les cloîtres, nous irons à Lui avec plus de foi, plus d’amour et plus de délicatesse. Demandons Lui de nous apprendre à découvrir au milieu de nous ce quelqu’un que nous ne connaissons pas. Il suffit que nous fixions vraiment le regard sur Lui, ne fût-ce qu’une seconde, pour qu’aussitôt le courant passe. Jésus nous apprendra ainsi, peu à peu, à sortir de nous, à nous oublier, à nous livrer à Dieu. Il nous enseignera progressivement à devenir des âmes d’oraison fixant sans difficulté le regard sur Lui. Nous réaliserons alors ce désir d’une petite âme : « Etre sans cesse la petite occupée du Grand Oublié. »

3. – REGARD DE LA SAINTE VIERGE

Regard Purifiant.

Le grand tourment de la Sainte Vierge est de voir un de ses enfants se perdre. (…) Marie veut sauver tous ses fils, même les plus misérables. Elle intercède jusqu’au bout auprès de son divin Fils, dans son amour quasi infini pour ses pauvres enfants (…).

Comme elle ne peut agir sans nous, Elle nous incite à jeter un regard vers Elle et à Lui demander secours : Respice stellam, voca Mariam, « regarde l’étoile, appelle Marie», nous dit Saint Bernard. Un regard vers Marie, quand la mer est démontée, nous aide à retrouver le droit chemin. La pensée de la Sainte Vierge nous aide à résister dans la tentation. Ainsi le regard de Marie nous aide à nous détacher – effectivement et affectivement - du péché.

À mesure que grandira notre intimité avec Marie, notre conscience deviendra plus délicate, nous ne pourrons supporter que la moindre mauvaise pensée vienne effleurer notre esprit ; nous voudrons pouvoir toujours La regarder en face. Même une pensée inutile ou étrangère, une pensée qui pourrait nous détourner un tant soit peu d’Elle, nous la rejetterons pour qu’il n’y ait pas l’ombre d’un désaccord entre le regard de Marie et le nôtre. 

Regard Sanctifiant.

Ne l’oublions pas, d’ailleurs, la Sainte Vierge est une vraie Maman. Tout en se montrant toujours très tendre, elle sait aussi être ferme quand il le faut. Si nous nous laissons un peu aller, si nous refusons quelque chose, son regard saura bien nous reprendre et nous exciter par de doux reproches à être plus généreux.

S’il nous semble n’être pas admis dans cette douce familiarité avec Marie, demandons-lui, au moins, avec une confiance toute filiale, de nous former comme elle formait Jésus autrefois. Plus nous nous abandonnerons à Elle, plus Elle agira en nous.

Regard Pacifiant.

Jésus, tout enfant, a pu avoir comme nous ses petite craintes, ses petites frayeurs (petites réactions physique). Que faisait-il alors ? Sans doute Il regardait sa Mère, et quand Il avait trouvé le regard de Marie, aussitôt Il était calmé et pacifié. Ainsi en est-il de notre vie morale ; quand nous sommes inquiets et troublés, quand il nous semble que « c’est dur » et que tout va de mal en pis, quand nous sommes tentés et que la tentation se prolonge, nous devons nous aussi regarder Marie. Son regard nous apaisera.

 Regard unifiant.

Le regard de l’âme formée par Marie se porte sur sa Mère de façon plus simple, plus amoureuse et plus profonde. L’âme entre alors dans l’intimité de Marie ; elle vit avec Elle, fixant son regard sur Elle, et c’est ce qui fait sa joie. Certaines âmes privilégiées sont même appelées à vivre « en Marie », à « demeurer dans le bel intérieur de Marie », comme dit le Bienheureux Grignion de Montfort. Le regard de Marie les pénètre et elles se sentent un peu comme entourées et enveloppées de son affection. Elles reposent comme dans un « sommeil d’amour, dans les bras maternels, sur son sein, sur ses genoux ». Penser à Marie les fait entrer en extase et les transporte d’allégresse.

Sous le regard de Dieu

Chapitre IV - L’ATHMOSPHERE FAVORABLE

 

 (…) Profiter au maximum de toutes les grâces que Dieu met à notre portée, doivent nous permettre d’arriver sûrement à la vraie vie intérieure. Il faut cependant reconnaître que, parmi les âmes qui emploient loyalement ces deux moyens, certaines montent très vite, alors que d’autres ne progressent que très lentement ou même semblent n’obtenir aucun résultat. Celles-ci n’arrivent pas à prendre conscience des grandes réalités qui les entourent. Pourquoi donc leur est-il si difficile de fixer leur attention et de conformer ensuite pleinement leur volonté à celle de Dieu ? Presque toujours la raison profonde en est le manque de silence de leur âme.

 I – NON IN COMMOTIONE DOMINUS : Le Seigneur n’est pas dans le bruit.

​Nous sommes, en effet, des éparpillés, des agités, toujours portés à nous extérioriser. L’oraison et les retours à Dieu ont beau avoir pour but de nous faire trouver Dieu et de nous Le faire rejoindre, ils seront inefficaces s’ils ne sont pas employés dans l’atmosphère favorable. On ne peut chercher Dieu que là où il est ! Or, non in commotione Dominus, «  Le Seigneur n’est pas dans le bruit et l’agitation ». Dieu n’habite que dans le silence.

​On peut donc dire que, si l’amour est la loi de Dieu, le silence est son atmosphère.

​II. – SILENCE EXTERIEUR

​Pour pouvoir agir sur les âmes, Dieu leur impose pour ainsi dire cette loi du silence. (…) Que de fois, dans l’Ancien Testament, Dieu n’a-t-il pas envoyé ses prophètes dans la solitude ? C’est dans le silence qu’Il s’est révélé à eux. Aussi, quand Dieu veut faire quelque chose de grand dans une âme, Il l’attire dans la solitude.

 III – SILENCE INTERIEUR

Mais ce silence extérieur n'est qu'un moyen, puissant certes, pour favoriser le silence intérieur. Car c'est au-dedans que Dieu va parler. (…) Si nous nous taisons aux créatures, c’est pour pouvoir parler au Créateur. Le silence extérieur n’existe que pour nous permettre d’écouter Dieu ou de Le regarder toujours – c’est tout un !

​Qu’est-ce donc que le silence intérieur ? Rien d’autre que le recueillement !

Se taire intérieurement, c'est mourir à soi pour vivre en Dieu. Le silence est l’aide que nous prêtons à Dieu pour qu'Il se communique à nous.

IV – L’ACTE DE SILENCE A L’ORAISON

 Quand on commence son oraison, la première chose à faire doit être de se recueillir pour se mettre en présence de Dieu. On oublie trop souvent cet élément essentiel qui établit en l’âme le silence, et lui permet de prendre conscience qu’elle est devant Dieu et devant Dieu seul. Cet acte établi le climat, l’atmosphère favorable pour qu’il n’y ait pas un simple monologue, mais qu’on sache écouter Dieu, pour que notre regard puisse rencontrer Son regard. Il s’agit d’orienter nos facultés, alors qu’elles sont encore tout occupées des créatures. Comment faire ? Un bon moyen est de commencer par établir l'unité en fixant l'intelligence sur une pensée dominante, laissant tomber toutes les autres, de même qu'en laissant déposer une eau boueuse on arrive à la rendre claire.

​L’âme, ainsi détachée, peut alors s’élever vers Dieu. Elle peut être attentive au Créateur, Le regarder, L’écouter, et Lui parler. Mais pour cela elle a dû d’abord mourir aux créatures. Maintenant, comme jadis, on ne peut voir Dieu sans mourir !

Ce recueillement actif au début de l’oraison est le fruit du travail de l’âme aidée par la grâce ordinaire de Dieu. Travail assez facile quelquefois. Il suffit de fixer son attention sur une pensée surnaturelle qui nous a déjà captivée, par exemple : Dieu est là, et Il t’appelle ! Je suis l’Amour. Seul avec le seul ! Quelquefois aussi travail beaucoup plus pénible ! Dieu ne semble pas attirer nos facultés. Notre volonté doit alors les ramener sans cesse. Des distractions multiples nous harcèlent, semblables aux mouches un jour d’orage. Il faut persévérer sans se lasser, revenir sans cesse à la pensée de Dieu, avec force et douceur, en attendant qu’elle nous captive. Peut-être serons-nous très étonnés d’être saisis après un temps de lutte qui nous semblait inutile. Peut-être Dieu ne viendra-t-Il que tout à la fin de l’oraison. Peut-être même permettra-t-Il que toute l’oraison se passe à combattre. Nous n’aurons pas perdu notre temps. Il a vu nos efforts, et son action en nous a été très efficace, quoique différente de celle que nous avions espérée. Dieu peut aider certaines âmes d’une façon un peu extraordinaire. Au recueillement actif de l’âme Dieu ajoute un recueillement passif. C’est alors Lui qui se charge d’attirer nos facultés, de les rassembler de les diriger ; voulant se communiquer alors d’une manière spéciale, Il prépare Lui-même l’atmosphère. Cela nous montre quelle importance Dieu attache à ce silence intérieur ! Ce recueillement passif, «  douce et affectueuse absorption de l’intelligence et de la volonté en Dieu produite par une grâce spéciale du Saint Esprit  », est pour Sainte Thérèse la première oraison surnaturelle, le prélude de l’oraison de quiétude. C’est un recueillement intérieur, dit-elle, qui se fait sentir à l’âme, et durant lequel on dirait qu’elle a en elle-même d’autres sens analogues aux sens extérieurs.  »​

Dieu, ayant saisi toutes nos facultés, va pouvoir se faire sentir à l’âme. Ce grand recueillement donne l’impression que Dieu va paraître. On pourrait le comparer à l’atmosphère qui règne avant une audience de Notre Saint-Père le Pape. Tandis qu’on traverse des salles de plus en plus silencieuses à mesure que l’on se rapproche de l’appartement du Souverain Pontife, toutes nos facultés s’orientent vers Lui. On a plus qu’une seule pensée : le Pape va paraître.

V – SILENCE HABITUEL

 Aussi une âme qui tend à la vie intérieure doit-elle travailler à acquérir ce silence et à le maintenir d’une façon habituelle. Dieu est très exigeant pour les âmes qu’Il appelle à son intimité.

​VI – PRESENCE DE DIEU EN NOUS DEVOTION A LA SAINTE TRINITE

 Mais, pour arriver à ce grand silence, à silence total «  où l'âme se trouve séparée de tout ce qui l'entoure, séparée aussi et surtout d'elle-même  », nous sentons notre impuissance. Heureusement, si Dieu nous demande dès le début de véritables efforts, sa grâce ne nous laisse jamais seul. Dieu agit toujours ; nos efforts, c’est Lui qui les soutient et qui les couronne de succès.

​Au simple point de vue naturel, le silence ne peut nous attirer. Aussi, habituellement, pour entraîner les âmes vers ce silence absolu, Dieu leur révèle-t-Il sa présence au plus intime d’elles-mêmes. Il leur enseigne la dévotion à la Sainte Trinité vivant et demeurant en elles.

​Il faut penser à cette inhabitation des Trois en nous, méditer ce dogme de notre foi pour en obtenir une conviction profonde, entraînante. Dans la mesure où nous sommes pénétrés de cette vérité que notre vie intérieure tout entière se déroule sous le regard de la Trinité, ce regard Divin exerce réellement sur nous son influence. Son action est d’abord purifiante : car nous éviterons avec soin, non seulement tout péché mortel – qui chasserait de l’âme les trois Personnes -, mais tout ce qui pourrait offenser la divine Majesté, jusqu’à la moindre pensée susceptible de lui déplaire. Le regard de Dieu présent en nous est sanctifiant : car nous cherchons toutes les occasions de faire plaisir à notre hôte divin. Désireux d’augmenter notre participation à la vie active du Père, du fils et du Saint Esprit, nous nous efforçons de mettre toujours plus d’amour dans chacune de nos actions. Ce regard est pacifiant : la Trinité vit en nous sa vie d’amour, par amour pour nous ; que pouvons-nous craindre ? Sa présence nous apaise. Oserions-nous nous laisser dominer par nos impressions et troubler, pour ainsi dire, la paix de l'Immuable et Tranquille Trinité au-dedans de nous ? Enfin, surtout, cette présence est édifiante : la Sainte Trinité en effet n’habite en nous que pour nous attirer vers Elle, pour nous faire participer d’une façon toujours plus intime à sa vie divine.

Appliquons-nous donc à tenir compagnie aux Trois Personnes par des retours de plus en plus fréquent au dedans de nous. (…) Faisons les efforts qui sont en notre pouvoir, Dieu se doit pour ainsi dire que nous aider. S’Il nous trouve assez généreux, et si tel est sa volonté, Il nous établira dans un silence profond. Sachant toutefois attendre son heure. Alors, il nous permettra de nous «  ensevelir  » en Lui comme il s’est «  enseveli en nous.  »

 VII – DEVOTION AU SAINT ESPRIT

 Au fur et à mesure que l'âme approche de ce grand silence, elle sent de plus en plus son impuissance. Elle est alors souvent attirée à se tourner vers l'Esprit-Saint pour se laisser former par lui. D'autres âmes connaissent son influence beaucoup plus tôt. Dans tous les cas, nous devons croire que l’unique occupation de l’Esprit d’Amour est de former le Christ en nous. Mais il ne peut travailler dans les âmes que lorsqu’elles sont suffisamment silencieuses pour être attentives à son action. Il veut se révéler à elles, mais Il demande aussitôt leur coopération. Admirons la manière dont Il les forme : le remords, les reproches intérieurs (le pire des châtiments serait de ne plus les entendre !). Une âme qui cherche à se donner est ainsi mordue par l’Esprit Saint. Puis, peu à peu, sa conscience s’affine, elle devient plus délicate. De petits points, insignifiants en apparence, se révèlent à elle comme de véritables manquements : des résistances à la grâce, à l’Esprit-Saint. Ne traitons pas cela de scrupules. L’âme sait bien qu’à tel moment elle a résisté, elle s’est refusée, et sa componction est profonde. Mais pour pouvoir s’appliquer à ne pas contrister l’Esprit Saint, elle doit être très silencieuse, très attentive, très souple. Cette attention au Divin Esprit doit devenir sa seule occupation, à l’exclusion de tout le reste.

Le Saint-Esprit l’excite alors à agir avec plus de générosité, à mettre plus d’amour dans chacun de ses actes. Il peut maintenant agir en elle, car Il ne rencontre plus d’obstacles en cette âme complètement livrée à son action. Il lui apprend à se dominer d’une manière encore plus parfaite, à éviter tout ce qui pourrait la distraire ou lui faire quitter la divine présence. Il remplit en même temps l'âme d'une grande paix et d’une grande joie. Maintenant, elle a vraiment conscience d'être aimée de Dieu.

 

Sous le regard de Dieu

CHAPITRE V - LA REGLE D’OR : PERSEVERANCE « ENTHOUSIATE »

 

Il faut persévérer. C’est déjà beaucoup de bien commencer, mais il ne s’agit pas, comme il arrive trop souvent, de s’arrêter en route. Il ne suffit pas d’avoir un grand idéal, il faut encore le poursuivre à travers tout. Il faut persévérer à tout prix, non pas en languissant sous le poids du fardeau, mais en avançant avec enthousiasme.

I – LA REGLE D’OR DE SAINT BENOIT

Elle comprend deux phases :

Tacita conscientia, patientiam amplectatur. La première chose à faire quand on croit se trouver en présence d’une difficulté, c’est de laisser tomber toutes nos impressions. En effet, pour pouvoir juger sainement, il faut que notre intelligence soit libre. Nous sommes au contraire bien souvent des impressionnables, des impulsifs, nous nous laissons troubler par des riens. (…) Se mettre en silence devant Dieu, comme nous l’avons dit au chapitre précédent, est le grand moyen de garder le calme et de pouvoir embrasser la patience.

Sustinens non lassescat vel discedat. Ce sacrifice qui vient de se présenter à moi, je l’ai donc accepté. Mais l’épreuve peut durer. Il faut alors soutenir son effort sans se lasser ni reculer. D’abord sans se lasser : attendre dans la patience l’heure ou Dieu fera cesser l’épreuve. Il sait bien que nous sommes éprouvés ; Il le permet pour notre avancement spirituel ; il prépare la grâce qui va nous sauver. Mais il veut que nous attendions cette grâce sans savoir l’heure où Il nous la donnera. Il veut que nous espérions à longueur de temps. C’est la longanimité dont parle Saint Thomas. Mettant toute notre confiance en Dieu, ne comptant que sur lui, nous nous abandonnons entre ses mains comme un enfant qui ne doute pas de son Père. Et c’est ainsi que Dieu nous forme. Il veut que nous tenions, que nous soutenions notre effort, mais en comptant sur Lui seul. Il faut aussi persévérer sans reculer. Il ne suffit pas d’être généreux pour un temps. Il est facile, quand tout va bien, de s’adonner aux bonnes œuvres et de chercher Dieu par l’oraison et retour à Dieu. Mais il faut persévérer ne pas lâcher pied, même quand cela devient pénible. Il faut faire comme si tout allait bien !

II. – L’ENTHOUSIASME

C’est une condition essentielle à notre persévérance. Pour ne pas nous laisser grignoter par les épreuves, absorber par des préoccupations d’ordre matériel ou endormir par le côté apparemment monotone d’une vie aussi réglée que la nôtre, nous avons besoin d’un élément qui ranime chaque jour notre flamme et qui nous donne un nouvel élan. Tous les saints sont des enthousiastes. Ils le sont d’une façon diverse, selon leur tempérament. Mais tous sont des passionnés.

Définition de l’enthousiasme.

Il ne s’agit pas ici d’un enthousiasme « feu de paille», d’un emballement passager. Il ne s’agit pas non plus d’un enthousiasme uniquement naturel, fruit d’un heureux tempérament, même soutenu par une volonté forte. Il s’agit d’un enthousiasme surnaturel, à la portée de tous, car il s’appuie sur Dieu. Étymologiquement parlant, enthousiasme, remarquons-le, veut dire inspiration, souffle de Dieu. C’est une disposition qui s’appuie sur Dieu et participe dès lors à son immutabilité et à sa stabilité. Nous définirons donc l’enthousiasme : Une disposition de l’âme qui, ambitieuse du mieux et inébranlablement confiante en Dieu, se forme un idéal très élevé et le poursuit sans cesse, malgré et par-dessus tout.

Rôle de l'idéal.

Le point important à remarquer est que, pour être enthousiaste, il faut avoir un idéal. Un idéal ? Que faut-il entendre par là ? Est-ce simplement une « raison de vivre » ? C’est plutôt un type de perfection en rapport avec un tel état. Disons mieux : l’idéal, c’est la plus noble idée qu’un homme puisse se faire du type de perfection qui convient à son état. Il faut donc que l’idéal soit réalisable et ne soit pas une chimère. Il faut que l’on puisse y tendre de toutes ses forces, sans s’exposer à tomber dans l’illusion ou découragement.

Or, nous chrétiens, nous avons un idéal infini, un idéal qui ne nous décevra jamais vers lequel nous pouvons tendre de toutes nos forces. (…) Enfants de Dieu, nous sommes faits pour participer à sa vie propre. Nous avons un idéal élevé, sublime, qui nous maintiendra toujours dans l’enthousiasme tant que nous le garderons présent à l’esprit pour le réaliser de tout notre pouvoir.

Car plus on approche de cet idéal divin, plus il nous captive. Nous sommes fait pour lui ; nous pouvons et nous devons y tendre. Dieu est toujours prêt à donner la grâce pour devenir des saints : « Soyez parfait comme mon Père céleste est parfait. » Cette sainteté n’est pas autre chose que la vie intérieure, la vie surnaturelle d’amitié avec les Trois Personnes de la Sainte Trinité. Tel est l'idéal : devenir un autre Christ, vivre de la vie intérieure au point de pouvoir dire : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »

Fruits de l’enthousiasme.

Les âmes qui ont un tel idéal, qui ne le perdent jamais de vue et y consacrent toutes leurs énergies sont toujours enthousiastes. Ces âmes sont par le fait même optimistes. Cet idéal en effet leur est donné par Dieu Lui-même. Il dès lors impossible d’en douter : dans sa bonté, Il leur donnera tous les moyens nécessaires pour le réaliser. Elles garderont donc toujours confiance ; elles verront toujours le bon côté des choses, n’apercevront en tout que la main paternelle de Dieu.

Ces âmes sont aussi magnanimes, en ce sens qu'il n'y a rien de petit, de mesquin pour elles. Elles voient qu'il est toujours possible de donner à leurs actions les plus ordinaires une immense valeur. Elles voient toutes choses dans la lumière de Dieu, qui transforme tout, divinise tout ; elles font du divin, de l’éternel par toutes leurs actions.

Magnanimes, ces âmes le sont même dans leurs fautes. Elles savent en profiter. Au lieu de se dépiter, elles veulent rebondir. Elles veulent réparer en donnant au Bon Dieu plus que si elles n’avaient pas péché. L’amour est au principe de leur componction.

Elles sont magnanimes enfin dans les grandes choses, ne craignant rien, parce qu’elles s’appuient sur Dieu. Elles restent humbles, sachant bien qu’elles ne peuvent rien par elles-mêmes ; mais elles savent aussi qu’elles « peuvent tout en Celui qui les fortifie ». Dès lors, « confiantes jusqu’à l’audace », elles ne trouvent jamais d’obstacles ou, si elles en rencontrent, elles les transforment par amour en moyen pour alimenter la flamme.

Ces âmes enthousiastes sont par suite des âmes heureuses. Elles ont en effet conscience de ne vivre que pour Dieu, pour le glorifier. Leur unique désir est de lui donner tout ce qu’il peut attendre d’elles. Étant dans l’ordre voulu par Dieu, elles sont en paix. Et, au fond du cœur, elles goûtent le centuple. Ces âmes enthousiastes sont enfin joyeuses. « L’idéal, c’est la grande force, le grand bienfait, la grande joie de la vie. » C’est Dieu qui est la source de leur joie. Aussi cette joie est stable : « Réjouissez-vous dans le Seigneur toujours », malgré tout, quoi qu’il arrive. Inévitablement ces âmes intérieures rayonnent la joie. Cela se traduit par un sourire tout surnaturel, divin, pourrait-on dire. Ce sourire est à la fois un culte et un apostolat. C’est un culte envers Dieu : « Dieu aime celui qui donne avec joie ». Sourire ainsi, c’est proclamer que Dieu est bon. C’est lui dire : Oui votre joug est suave et votre fardeau léger ! Quand on sourit, même dans l’épreuve, la croix, au lieu de paraître lourde, est légère. Sourire est un apostolat. Trop souvent, autrefois, les chrétiens semblaient se cacher. Ce temps est passé. On est fiers d’afficher sa foi et sa joie. Parce qu’ils sont « joyeux, fiers et purs » ils sont « conquérants ». Ce sourire continuel, même au milieu des difficultés, est la preuve d’un abandon confiant en Dieu. À cause de Lui, les incroyants se convertissent ; c’est le meilleur apostolat. Les âmes enthousiastes rayonnent ainsi, par leur sourire, leur vie avec Dieu. « L’âme joyeuse est apôtre.… Elle attire à Dieu les hommes en manifestant aux hommes ce que produit en elle la présence de Dieu. »

CONCLUSION

Notre idéal de sainteté doit s'élever jusque-là. Il faut nous laisser pénétrer par la vie du Christ pour pouvoir ensuite la répandre autour de nous. Vivons donc en présence de Dieu. (…) Nous pourrons par ce simple moyen accomplir dans toute sa plénitude le premier commandement de Dieu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, toute ton âme, de tout ton esprit, de toute ta force. » Par notre participation à la vie de Jésus et notre docilité à l’action de Marie et de l’Esprit-Saint, nous serons entraînés par le père dans la vie même de la Trinité. Ayant ainsi une vie intérieure intense, sans rien faire d’extraordinaire nous ferons tout très bien, en vivant dans le silence pour Dieu et avec Lui. Dès lors, quelles que soient les occupations extérieures que réclamera notre devoir d’État, nous réaliserons notre double fin : nous glorifierons Dieu et nous trouverons dès ici-bas le vrai bonheur.

 

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